Proposition de l’ANFD et de l’ICREF pour appuyer les groupes de femmes en quête d’égalité au Canada pendant la pandémie de la COVID-19

17 avril 2020
avril 17, 2020

Soumise à Femmes et égalité des genres Canada par l’Association nationale Femmes et Droit (ANFD) et l’Institut canadien de recherches sur les femmes (ICREF), avec l’appui des groupes nationaux de femmes et alliés suivants:

  1. Alberta Council of Women’s Shelters
  2. Alliance Féministe pour l’Action Internationale
  3. Centre canadien pour la diversité des genres et de la sexualité
  4. Congres du travail du Canada (CTC)
  5. Conseil canadien des femmes musulmanes (CCFM)
  6. Ending Violence Association of Canada
  7. Equality Fund
  8. Fondation canadienne des femmes
  9. Fonds d’éducation et d’action juridiques pour les femmes
  10. Hébergement Femmes Canada
  11. Initiative: une ville pour toutes les femmes
  12. International Women’s Rights Project
  13. Les Femmes Michif Otipemisiwak / Women of the Métis Nation
  14. Manitoba Association of Women’s Shelters
  15. Ontario Council of Agencies Serving Immigrants
  16. Pauktuutit Inuit Women of Canada
  17. PEI Family Violence Prevention Services Inc
  18. Réseau d’Action des Femmes Handicapées Canada
  19. South Asian Legal Clinic of Ontario
  20. Un enfant une place
  21. West Coast LEAF
  22. Yukon Status of Women Council
  23. YWCA Canada
  24. YWCA Halifax

 

La crise de la COVID-19

Il est de plus en plus évident que la pandémie de la COVID-19 est une crise sanitaire qui aura des répercussions complexes et disproportionnées sur les femmes et les filles dans l’ensemble du Canada, en particulier celles qui subissent des formes multiples et croisées de discrimination. Cette crise met en évidence et exacerbe les formes existantes de violence, de discrimination et de marginalisation que subissent les femmes et les filles, dans toute leur diversité.

Afin de s’assurer que les femmes et les filles qui ont le plus besoin d’aide, leurs familles et leurs communautés, seront incluses dans les réponses fédérales à la pandémie et en bénéficieront, il est impératif d’appliquer de manière solide et systématique une analyse féministe croisée des répercussions de la COVID-19 sur les femmes et les filles, et des réponses politiques et budgétaires existantes et potentielles à cette pandémie. Les réponses limitées à la COVID-19, conçues spécifiquement pour les femmes, se sont entièrement concentrées sur les services essentiels que fournissent les refuges pour femmes et les centres d’aide aux victimes d’agression sexuelle. Certes, il est important de mettre l’accent sur la violence faite aux femmes et la violence basée sur le genre, cela ne représente toutefois qu’une réponse initiale très limitée.

Nous savons que le gouvernement fédéral s’est engagé à garantir une ACS+ dans toutes les politiques et législations et nous reconnaissons également qu’une telle analyse était difficile à mettre en œuvre avant la crise, mais aujourd’hui plus que jamais une ACS+ est essentielle. Les groupes de femmes en quête d’égalité sont particulièrement bien placés pour apporter une contribution précieuse à la réponse à la COVID-19. Nos organisations et réseaux féministes se distinguent par une analyse féministe intersectionnelle, une expertise politique, une expérience de première ligne de travail avec et pour les femmes et bien d’autres atouts encore qui contribueraient de manière significative à une approche de la pandémie de la COVID-19 axée sur le genre. La consultation, la collaboration et la coordination entre les groupes de femmes en quête d’égalité et le gouvernement sont plus importantes que jamais, si nous voulons nous assurer que personne n’est laissé pour compte à cause de COVID-19.

La situation des groupes de femmes en quête d’égalité au Canada

Les groupes nationaux de femmes et nos collègues provinciaux/territoriaux et locaux travaillent déjà ensemble et aux côtés de nos alliés sur de nombreux fronts pour soutenir les femmes dans tout le pays et plaider en faveur d’une réponse à la pandémie qui soit sensible au genre.

Cependant, même avant la pandémie, assurer la pérennité de certaines organisations et mouvements féministes au Canada restait un défi permanent. Étant donné la profondeur et l’ampleur des dommages causés aux organisations féministes pendant la décennie où beaucoup ont perdu leur financement, bon nombre d’entre elles étaient encore en train de se reconstruire et d’essayer de se stabiliser.

De nombreux réseaux et organisations féministes ont continué à se débattre avec des lacunes en matière de financement et de capacités. La collecte de fonds reste un défi particulier pour de nombreux groupes de femmes en quête d’égalité au Canada, y compris ceux pris dans le cycle permanent de tenter de bricoler un financement de projet à court terme pour continuer à fonctionner. Le manque de soutien aux femmes marginalisées, notamment les femmes handicapées, autochtones, criminalisées, racisées, celles dont le statut d’immigration est précaire, les lesbiennes, les bisexuelles, les transgenres et les intersexes, et bien d’autres, était et continue d’être particulièrement aigu. La crise de la COVID-19 menace encore davantage notre secteur indispensable mais déjà vulnérable.

Nous savons que le gouvernement fédéral reconnaît l’importance d’un mouvement féministe fort ainsi que les connaissances et l’expertise que possède notre secteur pour faire progresser les droits des femmes au Canada, et que d’importants fonds ont été investis dans des projets afin de renforcer nos organisations, mais la pandémie a radicalement modifié le contexte dans lequel nous opérons.

Mener des opérations à distance est très difficile pour de nombreux groupes de femmes.1Ceci n’est qu’un aperçu de quelques-uns des défis auxquels se heurtent de nombreux groupes de femmes qui dépendent du financement de projets en raison de la crise de la COVID-19. Il faut donc entreprendre un examen complet des répercussions de la COVID-19 sur les groupes de femmes., notamment parce que:

  • Le personnel est principalement (et souvent exclusivement) féminin, et beaucoup de ces femmes assument une double et une triple charge, car elles doivent continuer à travailler à la maison tout en s’occupant de l’éducation de leurs enfants, en plus de prendre soin à temps plein des enfants, des parents et des grands-parents. L’épuisement, le stress, la dépression et l’épuisement professionnel sont susceptibles d’en découler;
  • Les membres du personnel de ces groupes qui vivent des relations violentes ne peuvent plus quitter la maison pour aller travailler et peuvent de ce fait être victimes de la VFF;
  • La situation financière précaire de nombreux groupes de femmes implique que les membres du personnel n’ont pas tous accès à des ordinateurs portables qu’ils pourraient emporter chez eux afin de travailler à distance;
  • Les salaires et les avantages payés par les groupes de femmes sous-financés sont souvent modestes et, par conséquent, certains membres du personnel, en particulier ceux qui travaillent à temps partiel, ne possèdent pas d’ordinateurs portables fonctionnels ni d’espace séparé ou du calme nécessaire pour travailler de manière productive;
  • De nombreux groupes n’ont pas les moyens de payer les coûts de l’Internet à domicile pour l’ensemble du personnel, ou les coûts accrus des plans de données et des appels longue distance; cette charge supplémentaire incombe aux membres du personnel (dont beaucoup sont sous-payés);
  • Les organisations qui présentent un déficit de financement peuvent ne pas avoir accès à des plateformes et des logiciels en ligne pour faciliter la communication et le travail avec les autres;
  • La plupart des paiements au personnel, aux fournisseurs, aux partenaires, etc., sont effectués par chèque parce que beaucoup de nos systèmes de contrôle financier exigent une double autorisation. L’émission de paiements par chèque prend beaucoup de temps et est très difficile. Elle nécessite l’intervention de plusieurs personnes (le personnel administratif qui prépare les factures et les pièces justificatives, la direction qui examine et approuve les paiements, un comptable qui prépare les chèques et les faire signer par deux signataires autorisés, (qui peuvent être des membres du conseil d’administration). Il est extrêmement difficile d’émettre des chèques tout en pratiquant la distanciation physique et en travaillant à distance. Les plans bancaires permettant les virements électroniques pour payer les factures et le personnel seraient des solutions de rechange, mais ils sont coûteux;
  • Les consultantes féministes constituent une part importante du secteur. Elles fournissent une expertise et des services spécifiques, car de nombreux groupes de femmes ont un personnel réduit et utilisent donc les fonds du projet pour engager des consultantes féministes afin de fournir des services spécifiques. Le ralentissement de la mise en œuvre des activités du projet signifie que les consultants féministes peuvent s’attendre à des pertes économiques importantes.

Malheureusement, le financement d’urgence annoncé à ce jour ne répond pas à la situation particulière de la plupart des groupes de femmes en quête d’égalité au Canada, y compris ceux qui dépendent du financement de projets. Les projets financés sont en place, mais les difficultés liées à leur réalisation ont déjà commencé et vont continuer de s’étendre et de s’aggraver. Si les activités financées par des projets sont reportées ou annulées, le personnel du projet devra être licencié et les bureaux de ces projets devront être fermés. Cependant, comme la plupart des groupes de femmes financés par des projets n’ont pas connu de perte de revenus immédiate, ils ne peuvent pas bénéficier d’un financement d’urgence. Notre financement de projets ne couvre pas non plus les coûts imprévus résultant de la pandémie. Comme nous n’avions pas tenu compte de ces coûts dans nos propositions de projet, nous ne pouvons pas faire ces investissements sans mettre en péril les résultats de nos projets.

Les appels à la création d’un Fonds de stabilisation d’urgence pour le secteur caritatif et à but non lucratif sont importants, et nous les soutenons. Nous espérons que les groupes de femmes seront inclus advenant la création de ce Fonds. En outre, un financement de base ciblé est toutefois nécessaire pour les groupes de femmes en quête d’égalité.

La demand: Financement de base pour les groupes de femmes en quête d’égalité

Nous applaudissons le financement alloué aux refuges pour femmes et aux centres d’aide aux victimes d’agressions sexuelles, qui constitue un premier pas important. Cependant, il faut beaucoup, beaucoup plus de fonds, car cette pandémie risque de menacer la survie de nombreuses organisations et mouvements féministes. Il est donc impératif d’injecter des fonds spécifiques à ce secteur.

Nous apprécions le financement de projets que le Programme de la promotion de la femme a mis à disposition de notre secteur depuis les élections fédérales de 2015. Il a apporté à de nombreux groupes un soutien important pour entreprendre des activités et des initiatives spécifiques destinées à faire progresser les droits des femmes au Canada. Toutefois, le financement de projets n’était déjà pas suffisant à lui seul avant l’avènement de la COVID-19, et il le sera certainement encore moins face à la crise actuelle ou pour la reconstruction et la reprise qui devront suivre. Par conséquent, compte tenu de la situation particulière des groupes de femmes et des contributions uniques que nous pouvons apporter à la défense et au soutien d’une approche sensible au genre en réponse à la COVID-19, les groupes de femmes en quête d’égalité au Canada demandent de toute urgence que FEGC (Femmes et Égalité des genres Canada) fournisse un financement de base. Le financement de base constituera une bouée de sauvetage importante pour éviter l’effondrement non seulement des organisations féminines individuelles, mais aussi du secteur dans son ensemble.

Depuis des décennies, les groupes de femmes et nos alliés réclament le retour du financement de base qui était auparavant assuré par le Programme de promotion de la femme.2 Jusqu’en 1998, la moitié du budget du Programme de promotion de la femme était consacrée au financement des programmes et des activités de base. Selon la deuxième recommandation du Comité FEWO, incluse dans son rapport de 2005, il faudrait réviser « le financement des groupes de femmes en introduisant une combinaison de financement de base et de financement par projet ».3Rapport du Comité permanent de la condition féminine, Mai 2005 à la page 8.

Aujourd’hui plus que jamais, le financement de base des groupes de femmes en quête d’égalité est essentiel et représente un investissement à fort impact dans le cadre de la réponse à la COVID-19.

Le mécanisme: Conversion des subventions du Fonds de renforcement des capacités en financement de base

Compte tenu de la diversité des groupes de femmes et de leurs membres, il est possible que diverses organisations et coalitions féministes proposent une série d’approches appropriées et stratégiques, et que FEGC en développe d’autres pour fournir aux groupes de femmes une combinaison de financement de base et de financement par projet.

La conversion des subventions actuelles du Fonds de renforcement des capacités (FRC) en financement de base se distingue comme un moyen fondé sur des principes, pratique et stratégique de fournir rapidement et facilement un financement qui aura une forte incidence sur le secteur. Cette option présente de nombreux avantages, notamment:

  • elle représente une réponse à l’échelle du secteur qui permettrait de fournir un financement de base aux quelque 270 groupes de femmes en quête d’égalité qui œuvrent aux niveaux national, provincial/territorial et local et ont reçu une subvention du FRC;
  • dans le cadre du processus de demande de financement du CBF, FEGC a déjà élaboré des critères pertinents et a examiné les demandes d’un large éventail de groupes de femmes. Par conséquent, cela garantirait que le financement de base irait aux organisations que FEGC a déjà déterminées, soit:
    • des groupes de femmes dont l’objectif premier est de faire progresser l’égalité des genres en faveur des femmes au Canada;
    • celles ayant des lacunes en matière de capacités qui nécessitent un soutien;
    • celles qui ont des structures de gouvernance adéquates en place; et
    • et qui peuvent contribuer à un mouvement de femmes viable au Canada pour faire progresser efficacement l’égalité des genres;
  • il serait extrêmement rentable et rapide de convertir simplement les subventions existantes du FBC en financement de base, surtout si on compare cette démarche au temps et aux ressources qu’il faudrait pour mettre au point un nouveau mécanisme de financement de base;
  • Cela ferait gagner énormément de temps au personnel de FEGC, car: Il ne serait pas nécessaire d’élaborer un nouvel appel à propositions, d’examiner les demandes, de rédiger de nouvelles conventions de contribution, de revoir les rapports d’avancement réguliers. Le temps libéré pour le personnel de FEGC pourrait être consacré au soutien d’autres réponses à la COVID-19;
  • Cela ne nécessiterait pas de travail supplémentaire important de la part des groupes de femmes qui sont déjà débordés et en difficulté et n’auraient pas la capacité de remplir une nouvelle proposition de financement
  • Avec un certain financement de base en place, le personnel des organisations féministes peut diriger et contribuer aux réponses à la COVID-19;
  • Étant donné l’intérêt du Canada à codiriger la coalition d’action B+25 sur le soutien aux mouvements et au leadership féministes, le Canada peut partager avec d’autres pays son approche féministe à la pandémie de la COVID-19, y compris l’octroi d’un financement de base aux groupes de femmes en quête d’égalité aux niveaux F/P&T/l dans tout le pays;
  • Une approche similaire pourrait être envisagée pour convertir les subventions du CBF accordées aux organisations autochtones et les subventions du CCF pour les organisations LGBTQ2; et

Convertir des subventions de projet existantes en financement de base, permet d’apporter une stabilité au secteur en utilisant les fonds qui ont déjà été promis à un large éventail de groupes. Des fonds supplémentaires qui existent actuellement au sein du Programme de promotion de la femme mais n’ont pas encore été promis, seraient disponibles à la fois pour fournir un financement de base à d’autres groupes de femmes en quête d’égalité qui n’ont pas reçu de subvention du CBF, et pour soutenir les collaborations et les innovations liées à la COVID-19.

Les groupes de femmes en quête d’égalité qui n’ont pas reçu de subvention du CBF auront également besoin d’une certaine stabilisation afin de contribuer à la réponse COVID-19, en particulier les organisations et les réseaux par et pour les femmes marginalisées, y compris les femmes handicapées, les femmes autochtones, criminalisées, racisées, celles dont le statut d’immigration est précaire, les femmes lesbiennes, bi, trans et intersexes et d’autres groupes subissant des formes multiples et croisées de discrimination.

Il s’agit d’une situation complexe qui évolue rapidement et les répercussions économiques et autres conséquences de la COVID-19 pour les femmes dans l’ensemble du pays, et notre secteur, seront probablement importantes et dureront un certain temps. Les groupes de femmes en quête d’égalité doivent non seulement survivre mais aussi s’épanouir afin de pouvoir faire progresser les droits des femmes dans toute leur diversité, pendant et après la crise de la COVID-19.

Conclusion

Depuis de nombreuses décennies, les groupes de femmes en quête d’égalité mènent la lutte afin que les droits de toutes les femmes au Canada soient respectés, protégés et réalisés. La fourniture d’un soutien de base en cette période critique est essentielle pour que nous puissions continuer à jouer ce rôle, tant pendant qu’après la crise actuelle. Des groupes de femmes disposant de ressources appropriées pourront non seulement survivre, mais aussi prospérer, collaborer et œuvrer les uns avec les autres et avec nos alliés, afin d’élaborer des interventions stratégiques et novatrices dans le cadre de la COVID-19. Nous sommes prêtes, désireuses et capables de démontrer le féminisme intersectionnel en action, et de revendiquer des réponses qui aideront à démanteler les nombreuses formes de discrimination systémique auxquelles les femmes, leurs enfants, leurs familles et leurs communautés sont confrontés, et à susciter des changements transformationnels dans tout le pays.

Le financement de base est la seule intervention financière qui fournira à tous les groupes de femmes en quête d’égalité un soutien approprié. Par conséquent, nous demandons instamment à FEGC de miser sur de multiples approches afin d’appuyer les groupes de femmes, y compris, mais sans s’y limiter, la conversion des subventions du FBC en financement de base.

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Qui nous sommes
L’Association nationale Femmes et Droit est une organisation féministe sans but lucratif qui promeut les droits des femmes à l’égalité par le biais de l’éducation juridique, de la recherche, et du plaidoyer en faveur de la réforme du droit.
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