Jane Doe
Vous ai-je dit que je suis féministe? Membre en règle, en lettres majuscules et sans regrets ni équivoque? Est-ce que j’en vois lever les yeux au ciel? Rassurez-vous, je ne vais pas parler longtemps.
Pour moi, le féminisme est un mouvement de justice sociale qui a soutenu plus de gens et donné lieu à plus de changements progressistes, pendant ses première et deuxième vagues, qu’aucun autre mouvement connu de justice sociale par le passé ou depuis. Le féminisme a donné aux femmes le droit de vote, la propriété de biens et la gestion d’entreprises, le choix et la liberté en matière de procréation, des services de garde, des soins de santé améliorés, moins de mortalité infantile, l’accès à l’éducation, de nouvelles lois, la reconnaissance des crimes violents contre les femmes et les enfants et une meilleure qualité de vie pour tout le monde sur qui il a eu des effets.
Il existe beaucoup de féminismes, beaucoup de pratiques et d’applications. Le féminisme peut être radical, socialiste, libéral et postmoderne. Bon d’accord, peut-être pas postmoderne…, mais il peut être, et il est, défini de façons diverses façons par des universitaires, des praticiennes du droit, des intervenantes de terrain et des femmes qui ne travaillent pas directement sous son parapluie. C’est un concept qui n’est ni nouveau ni redondant. Ses objectifs n’ont pas encore été atteints. Il n’est pas mort et ne va pas disparaître, même s’il a souvent été blessé et retenu prisonnier. Même s’il n’y réussit pas souvent, le féminisme implique une analyse antiraciste et anti-oppression. Il vise à libérer les femmes des liens et contraintes historiques du patriarcat. Il libérerait même les hommes, si ceux-ci le voulaient.
Bien sûr, il y a des féministes qui m’agacent, et je sais qu’il y en a d’autres qui me trouvent un peu folle, mais au bout du compte, le féminisme c’est une pratique, une manière d’être. Né il y a cinq minutes à peine, c’est un enfant qui commence à trottiner et continue à évoluer dans sa forme et sa compréhension du monde qu’il habite. Il est tout à fait capable d’excès et d’erreurs. Mais il est évolutionnaire, révolutionnaire et dédié à l’égalité sociale, politique et économique. Alors, où est le problème? Pourquoi le féminisme déclenche-t-il depuis une dizaine d’années autant de ressac et de craintes?
J’ai un cousin qui est surintendant de toutes les commissions scolaires de sa province. C’est un homme instruit, intéressant et intéressé. Au cours d’une conversation, il m’a dit que les féministes n’avaient pas le sens de l’humour et devraient relaxer un peu. Ne pas prendre les choses aussi sérieusement. C’est vrai, lui ai-je dit, en ajoutant que c’était peutêtre un peu difficile lorsque trois femmes par mois sont assassinées par leur partenaire masculin dans ma province, qu’une femme est violée à chaque dix-sept minutes au pays et que les femmes comme groupe demeurent gravement dépossédées de leurs droits économiques et politiques. Je lui ai demandé si les leaders politiques qu’il appuie d’habitude sont reconnus pour leur sens de l’humour et si cela affecte sa décision de voter pour ou contre eux.
Voilà ce que j’ai à en dire.
Extrait de The Story of Jane Doe par Jane Doe. Droit d’auteur © 2003 Jane Doe. Reproduit avec permission de Random House Canada.
