L’honorable Marco Mendicino, C.P., député
Ministre de la Sécurité publique
L’honorable Marci Ien, C.P., députée
Ministre des Femmes, de l’Égalité des genres et de la Jeunesse
Chambre des communes
Ottawa, ON
K1A 0A6
Cher Ministre Mendicino, chère Ministre Ien,
Objet – Contrôle des armes à feu et violence contre les femmes
Depuis la tuerie de l’École polytechnique à Montréal, les groupes de femmes de tout le Canada ont activement plaidé en faveur de lois plus strictes sur les armes à feu. Nous accueillons favorablement la récente annonce du ministre Mendicino concernant les ventes d’armes à feu et les armes d’assaut et nous espérons que l’engagement de votre gouvernement à prendre des mesures globales sur les armes à feu et la violence armée mènera à un changement réel et à une plus grande sécurité pour les femmes, les enfants et les communautés.
Cependant, nous sommes uni.e.s pour nous opposer au projet de loi C-21 déposé précédemment qui, à notre avis, ne s’attaque pas efficacement aux problèmes que nous constatons quotidiennement. Nous souhaitons réitérer nos préoccupations ainsi que nos recommandations de mesures qui contribueront à accroître la sécurité des femmes. Nous les résumons ci-dessous et offrons notre expertise considérable et notre connaissance technique du droit et des politiques pour aider votre gouvernement à développer des alternatives. Pour l’instant, nous souhaitons attirer votre attention sur les implications potentiellement désastreuses des mesures suivantes :
Les mesures de type « drapeau rouge » : Il n’y a aucun soutien en faveur du déchargement ou de l’érosion de la responsabilité des forces de l’ordre et d’autres représentants et représentantes du gouvernement dans la mise en œuvre des lois sur les armes à feu. Ils et elles sont, et doivent, rester responsables et redevables de veiller à ce que les permis d’armes à feu soient refusés et révoqués lorsqu’il existe des risques potentiels pour les femmes. Il ne faut pas s’attendre à ce que des citoyens et citoyennes ou d’autres organisations, et encore moins des victimes potentielles, se mettent en danger en allant au tribunal pour demander une action qui devrait être immédiate et relever de la responsabilité directe de la police. Il est largement reconnu que les femmes courent le plus grand danger pendant et après la séparation. Le fait de transférer le fardeau de l’application de la loi aux femmes et aux tiers, comme les dispositions du projet de loi C-21 relatives aux « drapeaux rouges » tentent de le faire, est une voie garantie vers une hausse du nombre de décès.
Nous appuyons les efforts visant à utiliser tous les mécanismes présentement disponibles dans le système, conjointement avec l’octroi de pouvoirs supplémentaires et l’éducation de la communauté, afin d’identifier les risques et de retirer rapidement les armes à feu détenues par les individus qui représentent une menace pour leur propre sécurité ou celle de toute autre personne. Dans les cas de la tuerie de Portapique, de la fusillade dans la famille Desmond et de nombreux autres cas (Mark Jones, Kevin Runke, Corey Jason Lewis, etc.), les personnes étaient conscientes de schémas de menaces et de violence à l’égard des femmes. Dans certains cas, la police a été avertie, mais aucune mesure n’a été prise. Si la sécurité des femmes est une véritable préoccupation pour votre gouvernement, les mesures et interventions spécifiques suivantes s’imposent :
- Axer l’éducation du public sur les risques de violence à l’égard des femmes, qui sont distincts des questions de contrôle des armes à feu relatives « aux gangs et aux armes ».
- Les initiatives d’éducation devraient expliquer le rôle que jouent les armes à feu dans la violence basée sur le genre et la violence à l’égard des femmes spécifiquement, en veillant à ce qu’un large éventail de facteurs de risque soit pris en compte.
- Assurer un contrôle rigoureux, y compris la vérification systématique des références et la notification de la conjointe.
- Promouvoir l’utilisation des mécanismes de « drapeau rouge » existants dans le système, tels que le système de Personnes d’intérêt relatif aux armes à feu (PIAF), et veiller à ce qu’ils soient utilisés comme prévu. En particulier :
- Veiller à ce qu’un large éventail d’infractions et de comportements déclenche ces signaux d’alerte.
- Encourager les membres de la communauté, les professionnels et professionnelles de la santé et autres personnes à signaler des drapeaux rouges.
- Veiller à ce que des mesures immédiates et efficaces soient prises en réponse à ces signalements.
- Effectuer les nouveaux investissements substantiels nécessaires à la formation, à un dépistage plus rigoureux, à une meilleure application de la loi et à la responsabilisation de la police et des autres fonctionnaires chargé.e.s de garantir la sécurité des femmes et des autres victimes potentielles de la violence armée.
En résumé, les mesures susmentionnées, y compris un regain d’intérêt particulier pour l’utilisation appropriée et proactive du système de PIAF, constitueraient une réponse bien plus efficace aux problèmes liés à la violence à l’égard des femmes auxquels les dispositions du projet de loi C-21 relatives aux « drapeaux rouges » ne répondent pas efficacement.
En ce qui concerne les mesures législatives nouvelles et renforcées relatives aux risques de violence armée liés à la violence à l’égard des femmes, notre opinion commune d’expertes est que le besoin principal réside dans le renforcement immédiat des contrôles et des conditions liés à l’octroi de licences, y compris les critères conduisant à des interdictions automatiques de possession d’armes à feu.
Il est impératif de poursuivre les discussions avec les groupes de femmes, afin de contribuer à l’élaboration d’un cadre juridique permettant de déterminer quand et comment les permis et les armes à feu doivent être retirés dans le contexte de la violence conjugale.
Nous avons notamment précisé, lors de consultations antérieures, que :
- Le fardeau de la preuve imposé par la loi aux propriétaires d’armes à feu pour démontrer qu’ils et elles devraient avoir accès aux armes à feu devrait guider toutes les décisions relatives à l’octroi de permis et à la possession d’armes à feu.
- Les permis et les armes à feu doivent être retirés en temps opportun aux personnes faisant l’objet d’une ordonnance de protection.
- Les permis et les armes à feu devraient être retirés automatiquement en cas de menaces et de violence de la part d’un partenaire intime.
Armes d’assaut : Nous appuyons l’interdiction des armes d’assaut (y compris une mesure législative de renouvellement automatique qui interdit tous les modèles actuels et futurs) et leur rachat obligatoire, de même qu’une interdiction réelle et efficace des chargeurs grande capacité. La plupart des pays n’autorisent pas la possession de ces armes par les civils.
Armes de poing : Nous sommes en faveur d’une interdiction nationale de la possession d’armes de poing et d’une interdiction de leur importation et de leur vente. Nous nous opposons à toute tentative de votre gouvernement de transférer la réglementation des armes à feu aux provinces et/ou aux municipalités. La Cour suprême du Canada a reconnu que le contrôle des armes à feu est une question de responsabilité pénale fédérale. Afin d’assurer un contrôle efficace des armes à feu au Canada, votre gouvernement doit exercer de façon proactive la pleine mesure de ses pouvoirs dans ce domaine.
Enfin, étant donné l’application inégale et souvent problématique des lois sur le contrôle des armes à feu à ce jour, nous recommandons une révision de la Loi sur les armes à feu tous les trois ans, en ce qui concerne son application, ses failles et les améliorations possibles à y apporter.
En conclusion, une réglementation forte et efficace des armes à feu est un élément essentiel de la prévention de la violence à l’égard des femmes. Les armes à feu augmentent la probabilité que la violence conjugale se termine par un décès. Les armes à feu entraînent une hausse du nombre de victimes : les enfants sont souvent aussi tués ou blessés et, dans 50 % des cas de violence conjugale impliquant des armes à feu, l’auteur ou l’autrice se suicide. Si la violence armée est souvent présentée comme un problème urbain, les femmes et les enfants sont davantage exposé.e.s aux armes à feu dans les communautés rurales. Bien que les armes les plus souvent utilisées soient des carabines et des fusils de chasse détenus légalement, nous avons également assisté à des fusillades de masse impliquant des armes de poing et des armes d’assaut militaires dans lesquelles les femmes étaient spécifiquement visées, y compris dans l’une des pires fusillades de masse de l’histoire du Canada – le meurtre de Rajwar Gakhal et de huit membres de sa famille – commis par un membre d’un club de tir au moyen d’une arme de poing légale.
Compte tenu de l’engagement de votre gouvernement à l’égard du Plan d’action national pour mettre fin à la violence fondée sur le genre, nous vous exhortons à abandonner les solutions malavisées proposées dans le projet de loi C-21 et à poursuivre des changements en matière de contrôle des armes à feu qui assureront, plutôt que de compromettre davantage, la sécurité des femmes et des autres personnes au Canada.
Cordialement,
Tiffany Butler, Directrice exécutive
L’Association nationale Femmes et Droit
Au nom de:
Heather McGregor, Directrice exécutive
YWCA Toronto
Paulette Senior, Présidente et Directrice exécutive
Fondation canadienne des femmes
Carol Barkwell, Directrice exécutive
Luke’s Place Support and Resource Centre
Lise Martin, Directrice exécutive
Hébergement femmes Canada
Marina Giacomin, Directrice exécutive
Calgary Legal Guidance
Louise Riendeau, Coresponsable des dossiers politiques
Regroupement des maisons pour femmes victimes de violence conjugale
Brea Hutchinson, Directrice exécutive intérimaire
Fonds d’action et d’éducation juridique pour les femmes
Shivangi Misra, Directrice principal, Droits humains,
L’Alliance Féministe pour l’Action Internationale
Jackie Neapole, Directrice exécutive
Institut canadien de recherches sur les femmes
Endossée par:
Emilie Coyle, Directrice exécutive
Canadian Association of Elizabeth Fry Societies
Nneka MacGregor, Directrice exécutive
WomenatthecentrE
Nuzhat Jafri, Directrice exécutive
Le conseil canadien des femmes musulmanes
Patricia Leson, Présidente
Le Conseil National des Femmes du Canada
Deepa Mattoo, Directrice exécutive
Barbra Schlifer Commemorative Clinic
Kathryn Wilkinson, Présidente nationale
La Fédération Canadienne des Femmes Dîplomées des Universités
Shalini Konaur, Directrice exécutive
South Asian Legal Clinic of Ontario
Vicky Smallman, Directrice nationale, Droits de la personne
Le Congrès du travail du Canada
Erin Whitmore, Directrice générale
L’Association canadienne pour mettre fin à la violence
Humberto Carolo, Directeur exécutif
Ruban Blanc
cc : Le très honorable Justin Trudeau, Premier ministre du Canada