Ouvrir la porte à une législation, c’est ouvrir la voie à des restrictions potentielles. Si le Parlement établissait un droit légal à l’avortement, de nombreux acteurs anti-choix affirmeraient un intérêt à appliquer des « limites raisonnables » à ce droit. L’élaboration d’une loi enchâssant le droit à l’avortement donnerait aux politicien-nes anti-choix l’occasion de tenter d’ajouter des exemptions ou des restrictions qui n’existent pas actuellement, sous prétexte de « compromis ».
Par exemple, des politicien-nes anti-choix ont déjà tenté de restreindre l’avortement après une certaine période de gestation par le biais de projets de loi d’initiative parlementaire. Ils et elles pourraient tenter de profiter du processus de définition du droit à l’avortement pour imposer des limites d’âge. L’avortement est un soin de santé essentiel; restreindre son accessibilité en fonction de l’âge gestationnel – non pas pour des raisons médicales, mais sur la base de croyances morales individuelles – peut priver des personnes déjà vulnérables des soins dont elles ont besoin.
Si un gouvernement progressiste « rouvrait le débat » en légiférant dans ce domaine, cela pourrait être utilisé par un éventuel gouvernement socialement conservateur pour justifier des amendements restrictifs. Des gouvernements ultérieurs pourraient utiliser une telle loi pour ajouter des restrictions touchant les limites de gestation, le counseling, les périodes d’attente obligatoires et la sélection prénatale du sexe, pour ne citer que quelques exemples. Et pour qu’un tribunal vienne à déterminer que ces restrictions violent la Charte, il faudrait une longue contestation judiciaire – et entre-temps, les personnes demandant des soins d’avortement feraient face à des difficultés.
L’opinion publique se préoccupe souvent de savoir si un gouvernement « rouvrira le débat sur l’avortement », ce qui détournerait l’attention des véritables enjeux d’accès qui persistent. Des amendements à une nouvelle loi, pour limiter l’accès, pourraient facilement être présentés au public comme un équilibre raisonnable entre les positions politiques sur l’avortement, sans égard aux réalités des personnes qui ont besoin de ces soins médicaux ou à ce que la science et la recherche nous disent au sujet de l’avortement. La désinformation sur l’avortement est depuis des années l’une des principales tactiques des militant-es anti-choix pour détourner l’attention publique des faits et pour faire avancer des propositions qui nuiraient davantage aux personnes demandant des soins d’avortement au Canada.
Une nouvelle loi qui finirait ensuite possiblement par être abrogée pourrait changer le cours de l’interprétation judiciaire. Si une loi établissant le droit à l’avortement était adoptée et qu’un futur Parlement venait à l’abroger, cela pourrait influencer d’éventuelles interprétations judiciaires de la Charte en ce qui concerne l’avortement. Les tribunaux trancheraient probablement encore en faveur de l’octroi de protections de la Charte aux personnes qui demandent des services d’avortement et à celles qui en fournissent, mais l’abrogation risquerait d’influencer l’interprétation judiciaire des droits reproducteurs à divers degrés.