Ratification of the American Convention on Human Rights

27 May 2002
May 27, 2002

Ratification of the American Convention on Human Rights
L’information d’organisation
Presented to the Senate Committee on Human Rights. Available in French only.

Présenté au Comité sénatorial permanent des droits de l’homme.
L’Association nationale de la femme et du droit (ANFD) est très heureuse d’avoir la possibilité de témoigner devant le Comité sur les droits de la personne du Sénat, sur cette importante question de la […]

Presented to the Senate Committee on Human Rights. Available in French only.

Le présent mémoire est le fruit du travail et de la participation d’un grand nombre de femmes et d’organisations féminines. Au risque de fournir une liste dans laquelle nous aurons oublié quelqu’un, nous remercions en particulier mesdames Michelle Asselin (FFQ), Anu Bose (ONFIFMVC), Kim Brooks (ANFD), Melanie Cishecki (Évaluation médias), Shelagh Day (AFAI), Bonnie Diamond (ANFD), Leilani Farha (Center for Equality Rights in Accomodation – CERA), Sherrie Lewis (AFAC), Anne Kittenbeil (CCA), Kathy Marshall (Womenspace), Lise Martin (ICREF), Celeste McKay (AFAC), Nancy Peckford (AFAI), Lisa Philipps (ANFD), Ruth Rose-Lizee (FFQ), Charlotte Thibeault (AFAI), Elaine Teofilovici (YWCA du Canada), et Armine Yalnizyan (AFAI).

Table des matières

Qui nous sommes

Pourquoi ce budget est important pour les femmes

Recommandations en vue de l’établissement du programme des dépenses
1. Fonds fédéraux à fournir pour couvrir adéquatement le coût des prestations d’aide sociale
2. Ressources suffisantes pour permettre l’implantation du Programme national de services de garde qui a été proposé
3. Investissement accru de l’infrastructure du logement social adapté aux femmes et aux programmes de soutien du revenu
4. Soutien accru des programmes d’établissement des immigrants
5. Aide ciblée aux provinces du fond d’aide juridique en matières de loi civile

Recommandations concernant les dépenses fiscales
1. Augmenter les dépenses par la prestation fiscale canadienne pour enfants
2. Convertir le crédit d’impôt non remboursable d’une personne handicapée en crédit remboursable

Recommandations sur le processus
1. Préparer un budget éclairé non discriminatoire

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Présenté au Comité sénatorial permanent des droits de l’homme.

L’Association nationale de la femme et du droit (ANFD) est très heureuse d’avoir la possibilité de témoigner devant le Comité sur les droits de la personne du Sénat, sur cette importante question de la ratification de la Convention américaine relative aux droits de l’Homme par le Canada. L’ANFD entretien de sérieuses craintes quand à l’impact de la ratification de cette Convention sur les droits humains des femmes, tout particulièrement au chapitre du droit des femmes à l’avortement.

Il est bien évident que l’ANFD estime que le renforcement du système interaméricain des droits de l’homme est souhaitable, et nous sommes conscientes que la ratification par le Canada de la Convention serait un pas dans cette direction. Nous sommes également d’avis que la ratification de la Convention et d’autres instruments régionaux, dont le Protocole de San Salvador serait de nature à fournir des recours supplémentaires en matière de droits sociaux et économiques. De plus, la ratification de la Convention de Belem do Para contre la violence faite aux femmes serait aussi un acquis important dans la lutte contre cette forme de discrimination sexuelle et de subordination des femmes.

Par contre, l’ANFD n’a pas encore de position arrêtée au sujet de la ratification de la Convention, et nous sommes présentement dans un processus d’analyse et de consultation sur la question. Lors de la Conférence biennale de l’ANFD au mois de mars dernier, nous avons d’ailleurs organisé une série spéciale de présentations en panels de plénière et d’ateliers sur divers aspects du système interaméricain. Nous avons pu compter sur la participation d’expertes de renommée internationale, dont certaines sont venus ou viendront témoigner devant ce Comité. Nous sommes présentement en train d’explorer avec d’autres groupes de femmes la possibilité d’organiser une rencontre pan-canadienne de formation, de consultation et de concertation politique sur la ratification de la Convention. Nous espérons éventuellement pouvoir développer un partenariat avec des groupes de défense des droits des femmes du Sud pour faire avance la cause des droits reproductifs des femmes à l’échelle continentale.

La question qui se pose à nous est comment ratifier la Convention sans mettre en péril nos acquis si âprement gagnés, en matière d’avortement et de contraception? L’enjeu est de taille puisqu’il s’agit du respect des droits humains des femmes à la vie, la sécurité, la dignité, la liberté et l’égalité. Est aussi en jeu la réalisation effective des principes reconnus par la communauté internationale lors de la Conférence mondiale sur les droits humains de Vienne en 1993, notamment les principes de l’indivisibilité et de l’universalité des droits humains.

En effet, la ratification par le Canada de la Convention ne doit pas se faire au dépends des droits fondamentaux des femmes à la souveraineté sur leur corps et leur vie. Dans cette présentation, nous voulons dans un premier temps identifier les problèmes qui se posent avec l’article 4.1 de la Convention, pour ensuite examiner le contexte dans lequel cet article serait interprété. Finalement, nous voulons examiner certaines pistes qui pourraient être explorées afin de nous permettre de ratifier la Convention, tout en protégeant les droits acquis des femmes en matière d’avortement et de droits reproductifs.

1. Le problème de l’article 4.1

L’ article 4.1 de la Convention se lit ainsi :

« 4.1 -Toute personne a droit au respect de sa vie. Ce droit doit être protégé par la loi, et en général à partir de la conception. Nul ne peut être privé arbitrairement de la vie ».

À sa lecture, l’article est inquiétant puisque ses termes semblent poser une règle générale protégeant le droit à la vie dès la conception. Il existe une seule cause où l’interprétation de l’article 4.1 a été discutée, et il s’agit de la décision dite Baby Boy rendue par la Commission interaméricaine de droits de l’Homme en 1981. Cette cause portait sur l’article 1 de la Déclaration américaine des droits de l’Homme, et indirectement sur l’article 4.1 de la Convention.

Il s’agit dans cette cause, d’une plainte portée par le groupe Catholics for Christian Political Action, contre les États-Unis et l’État du Massachusetts au nom de « Baby Boy », le fœtus avorté d’une jeune femme de 17 ans. Étant donné que les États-Unis n’ont pas ratifié la Convention, la plainte a été logée en vertu de l’article 1 de la Déclaration (droit à la vie, à la liberté, à la sécurité et à l’intégrité de la personne), ainsi que ses articles 2 (égalité devant la loi), 7 (protection spéciale aux enfants) et 11 (droit à la santé). La plainte visait l’acquittement du médecin qui avait pratiqué l’avortement, ainsi que la jurisprudence établie par la Cour suprême des États-Unis dans Roe v. Wade et Doe v. Bolton qui aurait mis fin à la « protection légale » dont jouissaient les enfants non encore nés et établi les conditions permettant la « privation arbitraire » de leur du droit à la vie. On y alléguait que la Déclaration doit être interprétée en fonction de la Convention, même si les États-Unis n’ont pas signé cette dernière.

Après un examen des travaux préparatoires ayant précédés l’adoption de la Déclaration en 1948, la Commission conclut que l’article 1 ne garantit pas le droit à la vie « dès la conception ». Elle rappelle que les États membres avaient rejeté une telle proposition suite aux discussions portant sur une version préliminaire de la Déclaration, en reconnaissance du fait que certains pays permettaient déjà l’avortement, soit pour sauver la vie de la mère, lorsque la grossesse était le résultat d’un viol, lorsqu’il s’agissait de protéger l’honneur d’une femme « honnête », pour prévenir la transmission au fœtus d’une maladie héréditaire ou même, dans le cas de l’Uruguay, pour des raisons économiques (« angustia economica »).

Dans un deuxième temps la Commission conclut qu’on ne peut invoquer l’article 4.1 de la Convention contre les États-Unis, puisqu’ils n’ont pas ratifié la Convention. Néanmoins, elle discute de l’interprétation de l’article 4.1 à la lumière des travaux préparatoires ayant précédés son adoption en 1969. Notant qu’une première ébauche de l’article faisait référence au droit à la vie « à partir de la conception », la Commission constate que plusieurs États s’étaient objectés à cette formulation. Une solution dite de « compromis » fut proposée: garantir le droit à la vie « en général à partir de la conception ». Cette proposition fut entérinée malgré l’opposition du Brésil et des États-Unis. La Commission affirme que les implications juridiques de l’expression toute personne a droit au respect de sa vie « en général à partir de la conception », sont substantiellement différentes de l’expression plus courte « dès la conception ». Elle conclut que l’on ne peut pas interpréter le droit à la vie garanti à l’article 4.1 de la Convention comme étant un droit à la vie « absolu », tel que proposé par le plaignant.

Par contre, elle souligne que la référence à la protection de la vie « à partir de la conception » a été inclue dans le texte de l’article 4.1 pour une question de « principe ». De plus, même si elle reconnaît qu’il n’y a pas une interdiction absolue de l’avortement, la Commission laisse entendre que l’article 4.1 pourrait être invoqué afin de prohiber l’avortement pratiqué pour des motifs « arbitraires », sans toutefois préciser les paramètres de cette prohibition.

Loin d’être un compromis, il nous semble que la formulation actuelle de l’article 4.1 est le fruit d’une victoire des forces « pro-vie », par rapport au texte de la Déclaration. Il faut souligner en effet que la Convention est le seul instrument régional ou international à faire référence au droit à la vie « à partir de la conception ». Même si la décision Baby Boy est interprétée par plusieurs comme étant une reconnaissance que les États sont libres de légiférer à leur guise en matière d’avortement, il n’en demeure pas moins que l’article 4.1 pose une règle générale protégeant le droit à la vie dès la conception.

Interprétée de façon stricte, cette règle peut servir de fondement à l’interdiction ou la criminalisation de l’avortement, qui est inévitablement synonyme de destruction d’un embryon « conçu ». Cette règle pourrait aussi être utilisée pour interdire certaines formes de contraception, comme par exemple le stérilet qui empêche la nidation de l’ovule fécondé, de même que la pilule du lendemain et le RU-486 qui agissent après la conception. Une interprétation stricte du droit à la vie « en général, à partir de la conception » donnerait aussi peut-être ouverture à des mesures visant à protéger la vie et éventuellement la santé du fœtus, comme par exemple une injonction pour empêcher une femme d’avorter, une ordonnance la plaçant en détention dans une centre de traitement pour suivre une cure de désintoxication ou autre traitement jugé nécessaire pour la protection du droit à la vie du fœtus.

Les propos du délégué du Honduras, émettant les réserves de son pays face au Programme d’action du Caire sur la population et le développement adopté en 1994, témoignent de l’ampleur du champ d’application possible de l’article 4.1 de la Convention:

« …The American Convention on Human Rights, reaffirms that every person has the right to life and that this right will be protected by law and will be protected in general, starting from the moment of conception, based on moral, ethical, religious and cultural principles, which should regulate the international community, and in accordance with the internationally recognized human rights. As a consequence of this, one accepts the concepts of ‘family planning’,‘sexual health’, ‘reproductive health’, ‘maternity without risk’,‘regulation of fertility’, ‘reproductive rights’ and ‘sexual rights’ so long as these terms do not include ‘abortion’ or ‘termination of pregnancy’, because Honduras does not accept these as arbitrary actions; nor do we accept them as a way of controlling fertility or regulating the population.”

Les délégués de la République Dominicaine, du Nicaragua, de San Salvador et du Pérou ont aussi fait des déclarations au même effet. Il est donc clair qu’aux yeux de certains pays, l’article 4.1 de la Convention comporte une norme positive protégeant le droit à la vie du fœtus et interdisant l’avortement de façon générale.

Bref, l’article 4.1 est inquiétant, puisqu’il peut donner prise aux prétentions des groupes pro-vie et autres mouvances anti-féministes, « pro-familles », fondamentalistes et de droite qui tentent d’interdire l’avortement et de ré-établir un contrôle patriarcal des hommes et de l’État sur la vie des femmes. De plus, l’article 4.1 engage les États signataires à assurer une telle protection par l’adoption de mesures législatives spécifiques, en adoptant par exemple une loi sur l’avortement. Or, a l’heure actuelle, il n’existe pas de loi sur l’avortement, encore moins de loi protégeant le doit à la vie dès la conception . Or comme l’écrit en 1998 le professeur Bill Schabas, l’article 4.1 de la Convention pourrait forcer le gouvernement d’adopter une telle loi :

« Thus, it would seem safe to assume that article 4.1 does not impose an obligation to prohibit abortion, in general, although it may require State parties to regulate the practice and prohibit it in certain cases, such as after a certain number of weeks of pregnancy… the current absence of any abortion law in Canada might be judged inadequate to comply with the provisions of article 4 of the American Convention ».

Il est vrai que l’article 29 de la Convention stipule qu’aucun article de la Convention ne peut être interprété comme « restreignant la jouissance et l’exercice de tout droit ou de toute liberté reconnu par la législation d’un État partie », mais nous entretenons certaines inquiétudes sur la portée de cet article dans le présent contexte. En effet, le droit à l’avortement n’est pas protégé par la législation nationale, et la mise en œuvre d’une loi interdisant ou restreignant sa pratique pourrait être interprétée comme attribuant des nouveaux droits … aux fœtus. Par ailleurs, la Cour suprême du Canada a elle-même invité le Parlement à adopter une législation encadrant la pratique de l’avortement à plusieurs reprises. Dans ce contexte, il est possible que l’article 29 ne protègera pas le droit des femmes à décider, en toute liberté, d’interrompre une grossesse non désirée.

2. Le contexte

Nos appréhensions face à l’article 4.1 de la Convention doivent s’évaluer en tenant compte du contexte juridique canadien, des développements récents en droit international ainsi que l’évolution du climat politique, notamment de la montée de la droite, de l’autoritarisme et du fondamentalisme religieux. Cette conjoncture, de pair avec l’impact du néolibéralisme et de la mondialisation sur les droits économiques et sociaux , ne favorise pas la reconnaissance de l’égalité et de l’autonomie des femmes

2.1 le contexte juridique au Canada

En 1969, le gouvernement fédéral décriminalisait la contraception et libéralisait l’accès à l’avortement, en permettant la pratique de l’avortement « thérapeutique ». Mais comme le rapport Badgley (1977) a clairement établi, l’accès à l’avortement à travers le Canada demeurait inégal et arbitraire.

En 1988, dans la décision Morgentaler (No 2), la Cour suprême du Canada a jugé que les dispositions du Code criminel sur l’avortement portaient atteinte au droit à la sécurité physique et psychologique des femmes, et constituait une atteinte à l’autonomie humaine. Soulignant que les femmes enceintes ne peuvent être traitées comme des moyens pour réaliser une autre fin, Madame la juge Wilson affirmait de manière éloquente que le droit à la liberté énoncé à l’article 7 de la Charte confère à une femme le droit d’interrompre une grossesse qu’elle ne désire pas mener à terme. Suite à la décision de la Cour dans cette affaire, l’avortement est maintenant du ressort médical, comme il se doit. L’absence de loi criminalisant l’avortement est une victoire majeure pour les femmes, puisqu’aucune entrave à l’autonomie et la liberté des femmes n’est imposée par l’État.

La décision de la Cour suprême dans Daigle c. Tremblay (1989) a consolidé cette victoire en affirmant qu’en vertu de la Charte québécoise des droits et libertés de la personne et du Code civil du Québec, le statut juridique de personne n’est conféré qu’aux être humains, nés et vivants et que par conséquent, le fœtus n’a pas de « droit à la vie ». La Cour précisait que seule la femme enceinte a le droit de décider si cette grossesse sera menée à terme, et que le père n’a aucun « intérêt » sur le fœtus.

En 1997, dans l’arrêt Office des services à l’enfant et à la famille de Winnipeg c. G (D.F.) la Cour suprême a confirmé que le fœtus fait partie de la mère et n’a pas de personnalité juridique propre tant qu’il n’est pas né. Elle a refusé d’accorder une ordonnance de détention dans un centre de désintoxication contre une femme enceinte, exigée par les services à l’enfance au nom de la protection des intérêts du fœtus, parce qu’une telle mesure « empiéterait radicalement sur les libertés fondamentales de la femme enceinte ».

Cette jurisprudence, gagnée de haute lutte de la part de la communauté féministe au Québec et dans le reste du Canada, marque une étape essentielle à l’acquisition de la citoyenneté effective des femmes. Elle témoigne de la capacité de transformation magistrature, aidée par les interventions judiciaires des groupes de femmes, qui parvient maintenant à interpréter le droit en fonction de la perspective des femmes, et à traduire l’expérience des femmes dans des concepts appartenant à la logique des droits de l’Homme.

2.2 le contexte international

Il semblerait qu’il n’y ait pas en droit international de reconnaissance formelle du « droit » à l’avortement. Par contre depuis quelques années, on reconnaît volontiers que la criminalisation de l’avortement mène à la pratique d’avortements clandestins, qui sont une des principales causes de la mortalité maternelle.

Ainsi en Colombie, on évalue qu’il se pratique 450,000 avortements clandestins par année, et que 23% de la mortalité maternelle résulte de cette pratique. Cette reconnaissance du lien entre la criminalisation de l’avortement et la mortalité maternelle a mené à la reconnaissance que c’est le droit à la vie des femmes qui est menacé par des lois répressives sur l’avortement.

Dans ses remarques sur le respect par les État membres de leurs obligations, le Comité pour l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes leur a souvent demandé de modifier leur législation criminalisant l’avortement, et a parfois même demandé aux États d’assurer aux femmes un accès à des services d’avortement de qualité. Sa Recommandation générale No 24 (1999), encourage les États à retirer les barrières érigées contre l’accès des femmes aux services de santé essentiels pour le respect de leur droit à la vie, et elle recommande notamment d’abolir les dispositions punitives imposées aux femmes qui ont recours à l’avortement.

Par ailleurs, le Comité des droits de l’Homme a aussi jugé que la criminalisation de l’avortement, la pratique de l’avortement clandestin et le haut taux de mortalité maternelle qui en résulte entraînent une violation du droit à la vie des femmes, énoncé à l’article 6 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Le Comité a critiqué les États qui imposent une législation criminalisant ou restreignant l’avortement à plusieurs occasions, et a souvent recommandé qu’ils révisent ou amendent leur législation nationale.

Finalement, le Comité des droits économiques sociaux et culturel a, dans son Commentaire général No 14 (adopté en l’an 2000), recommandé aux États de prendre des mesures spécifiques pour améliorer la santé des mères, d’assurer un traitement égal et non discriminatoire des femmes en matière de services de santé, et d’inclure une perspective de genre dans leur politiques socio-sanitaires. Il a notamment recommandé l’amélioration des services de santé sexuelle et reproductive, incluant l’accès au planning familial. Bien que l’avortement ne soit pas spécifiquement mentionné, certaines observatrices estiment que les services d’avortement devraient être inclus dans le concept de planning familial, d’autant plus que le Comité souligne la nécessité de réduire la maternité maternelle et les autres risques posés à la santé des femmes. Par contre, le Comité ne fait aucune recommandation portant sur l’élimination de législations criminalisant ou restreignant l’avortement.

L’interprétation réservée par la Commission interaméricaine des droits de l’Homme aux droits énoncés dans les instruments régionaux tient largement compte des normes établies en droit international du droit de la personne. En fonction des principes énoncés ci-haut, la Commission prône actuellement une interprétation de l’article 4.1 de la Convention qui garanti aux femmes le respect de leur droit à la vie et à a santé. Toutefois, il faut reconnaître que la Cour Interaméricaine ne s’est pas encore prononcée au sujet de l’article 4.1, et que les pratiques actuelles de la Commission sont vulnérables à tout changement officiel ou officieux de la politique de cette institution sur la question de l’avortement. Un tel changement est d’autant plus plausible que les forces « pro-vie » militent intensivement sur la scène internationale depuis les dernières années.

2.3 le contexte politique

C’est donc aussi à la lumière du contexte politique qu’il faut évaluer les risques inhérents à l’article 4.1 de la Convention. En effet, si le Canada ratifie la Convention, les militants « pro-vie » vont sans aucun doute invoquer l’article 4.1 pour faire des pressions sur le Parlement afin qu’il adopte une législation visant à protéger le droit à la vie « en général à partir de la conception ». Dans un tel scénario, il est fort possible que l’on se retrouve avec un loi restrictive sur l’avortement, qui sans l’interdire complètement en restreint sérieusement l’accès, la pratique et le financement.

Différents facteurs militeraient en faveur d’un tel scénario :

– Les positions contre le libre choix de la droite au Canada, notamment au sein de l’Alliance canadienne. D’ailleurs une motion a été présentée il y a à peine une semaine par un député de l’Alliance Canadienne afin d’élargir la définition de l’être humain pour inclure les foetus.

– L’impact sur l’opinion publique des campagnes des groupes « pro-vie » dans le milieu scolaire et dans l’Église depuis les années 1970.

– Les pressions natalistes de certains groupes qui veulent encourager l’augmentation du taux de natalité des femmes, soit pour préserver la prédominance de la race blanche en Amérique du Nord, soit pour éviter d’être obligé d’augmenter le nombre d’immigrants.

– La force et l’organisation du lobby de défense des « droits des pères », et leur emprise grandissante sur le discours public.

– Le backlash anti-féministe des années 1990.

– Les politiques agressivement anti-avortement du gouvernement américain, comme par exemple le « Global Gag Order » imposé par l’administration Bush, en vertu duquel on retire tout financement à toute organisation internationale de planning familial qui fournit ne serait-ce que de l’information sur l’avortement, sa politique officielle en faveur de l’abstinence sexuelle comme seule méthode acceptable de contraception avant le mariage ou la récente loi fédérale criminalisant le fait d’aider une jeune fille à traverser les frontières d’un état américain à un autre dans le but d’obtenir un avortement. Finalement, il faut souligner la possibilité que la Cour suprême des États Unis abandonne les acquis de Roe v Wade, à cause des nominations conservatrices sur le banc.

– Au niveau international, le Vatican, les groupes pro-vie et les défendeurs de la famille patriarcale se mobilisent à grande échelle pour assurer que toute référence aux droits reproductifs des femmes, et en particulier le droit à l’avortement soit éliminée des différentes plate-forme d’action de l’ONU. Ils ont tout particulièrement investi les débats entourant la Convention relative aux droits de l’enfant, il y a quelques semaines à New York.

– Finalement, il faut aussi tenir compte du discours contre le libre choix des femmes en matière d’avortement dans nos propres instances judiciaire, comme par exemple les jugements de la Cour supérieure et de la Cour d’appel du Québec dans Daigle et la dissidence du juge Sopinka dans Office des services à l’enfant et à la famille de Winnipeg.

3. Quelques pistes à explorer

Un des défis que pose la ratification de la Convention aux groupes de défense des droits de la personne est de savoir si l’on peut utiliser cette occasion pour obtenir que les gouvernements canadien et québécois confirment leur engagement en faveur du libre choix des femmes en matière d’avortement, et pour faire avancer la reconnaissance des droits à l’autonomie et à la sécurité reproductive des femmes sur une échelle continentale?

Pour ce faire, on pourrait ratifier la Convention en apportant une « réserve » à l’article 4.1, qui stipule que le Canada refuse de se soumettre aux obligations énoncées à cet article. Cette option a été critiquée par plusieurs, qui y voient une concession à l’interprétation la plus négative de l’article 4.1. Par ailleurs, on pourrait annexer une «déclaration interprétative» à notre ratification de la Convention, en vertu de laquelle le gouvernement canadien ferait état de son interprétation de certains principes.

Le Mexique a ajouté une déclaration interprétative à l’article 4.1 lorsqu’il a ratifié la Convention, qui renvoie l’avortement à la régie interne de chaque État. Le texte se lit ainsi :

« En ce qui concerne le paragraphe 1 de l’article 4, le Mexique estime que l’expression « en général » qui y est employée n’emporte pas obligation d’adopter ou de maintenir en vigueur une législation qui protège la vie « à partir de la conception », parce que cette question est de la compétence exclusive des États »

Si notre objectif est de contribuer au développement de la jurisprudence interaméricaine et à la protection « universelle » des droits humains des femmes, cette formule ne s’avère guère intéressante. En effet, cette déclaration interprétative « privatise » la question de l’avortement et des droits reproductifs des femmes, les renvoyant dans le domaine de la « compétence exclusive des États », à l’abri de normes universelles ou régionales. Elle laisse libre cours aux États qui, comme le Salvador a choisi en 1998 de criminaliser l’avortement dans toutes les circonstances, y compris lorsque la grossesse est le résultat d’un viol ou est requis pour des raisons thérapeutiques et qui, en 1999, a amendé sa Constitution pour reconnaître qu’un être humain existe « à partir du moment où ils sont conçus ». Une telle option semble aller à contre-courant des réformes et engagements entrepris depuis au moins la dernière décennie.

Une autre piste nous est proposée par la professeure Rebecca Cook , qui plaide en faveur de la ratification de la Convention accompagnée d’une déclaration interprétative qui affirme le solide engagement du Canada à améliorer la situation des femmes et à créer les conditions nécessaires au plein exercice de leurs droits. Dans cette optique, professeure Cook propose deux options, la première visant la formulation générale d’une norme anti-discriminatoire, qui établi un lien entre le respect des besoins spécifiques des femmes en matière de grossesse et d’accouchement et la discrimination sexuelle. Voici le texte de cette première option, qui serait lue pour interpréter le Préambule de la Convention:

” Le Canada considère que la présente Convention doit se lire comme un tout et que, conformément à ses objectifs, elle vise à assurer que les femmes jouissent de tous les droits prévus par cette Convention au même titre que les hommes. De plus, le Canada considère que cette Convention sera appliquée au Canada conformément aux obligations du Canada aux termes d’autres traités internationaux auxquels il est partie, notamment la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes. Le Canada considère que cette Convention doit être interprétée comme visant à ce que les besoins spécifiques des femmes en matière de grossesse et d’accouchement soient respectés, protégés et satisfaits, et que dans le cas contraire, on serait en présence de discrimination sexuelle contraire aux objectifs de la Convention américaine. ”

Elle précise que cette formulation permettrait une interprétation de la Convention qui serait conforme à l’évolution des normes développées en vertu de la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes, en particulier de la récente Recommandation générale 24 sur les femmes et la santé, qui énonce que la « criminalisation des soins médicaux dont seules les femmes ont besoin constitue une forme de discrimination sexuelle ».

Par ailleurs, professeure Cook propose une seconde option qui s’attacherait spécifiquement à l’article 4.1, et qui se situerait dans le paradigme du droit à la santé. Cette déclaration interprétative tiendrait compte du travail effectué à l’échelle internationale pour réduire la mortalité et les maladies liées à la maternité, et viserait à assurer que l’interprétation de l’article 4.1 garantisse nommément le libre choix en matière de maternité. Voici le texte de cette seconde option, qui serait lue en soutien à l’interprétation de l’article 4.1 :

” Selon l’interprétation que fait le Canada de la Convention, celle-ci vise à assurer la non-discrimination sexuelle dans l’accès aux soins de santé. Cela exige l’accès aux services qui s’adressent à des besoins de santé propres aux femmes, et qui permettent de réduire la mortalité et les maladies liées à la maternité. De tels services comprennent ceux qui permettent aux femmes de survivre à la grossesse et à l’accouchement, notamment les services qui garantissent aux femmes le libre choix en matière de maternité et l’accès aux soins obstétriques, prénataux et nutritionnels de base. De plus, le Canada considère que cette Convention signifie que ces services peuvent être fournis seulement si les droits des femmes sont protégés aux termes de cette Convention et aux termes d’autres Conventions auxquelles le Canada est partie. ”

Compte tenu du fait que le droit à la santé est une base très importante à partir de laquelle les services d ‘avortement et autres services reproductifs peuvent être revendiqués, serait-il préférable que cette déclaration interprétative accompagne l’article 26 de la Convention, portant sur les droits économiques, sociaux et culturels?

Les propositions de professeure Cook constituent une contribution des plus intéressantes pour notre réflexion sur les déclarations interprétatives, car elles intègrent de façon élégantes différents aspects des développements récents en droit international. À partir de ces propositions, on pourrait développer une formulation qui intègre de façon similaire les acquis de la jurisprudence canadienne reconnaissant que le droit d,interrompre une grossesse non désiré affecte non seulement le droit à la vie et à la santé, mais aussi les droits civils et politiques des femmes, notamment le droit à la liberté, l’autonomie, la dignité, la sécurité et l’égalité. À défaut de reconnaître ces dimensions, nous serons au même point qu’en 1969 au Canada, alors que le Code criminel était amendé pour permettre l’avortement uniquement pour sauver la vie ou la santé de la mère. Il est impératif de reconnaître que le droit à l’avortement relève des droit humains fondamentaux, et que sa non reconnaissance est un outrage aux droits humains des femmes. De plus, le droit à l’avortement libre et gratuit – sur demande et sans la nécessaire sanction du médecin, du curé ou du mari – est un sine qua non pour la reconnaissance effective de pleine citoyenneté des femmes.

À ces deux déclarations interprétatives, peut-être faudrait-il donc ajouter une troisième qui se grefferait à l’article 7 de la Convention, énonçant le droit à la liberté et à la sécurité de la personne. On pourrait développer une déclaration interprétative qui tiendrait compte des principes établis par la Cour suprême dans l’arrêt Morgentaler, à savoir que le fait d’empêcher une femme de décider librement si elle désire mener à terme une grossesse est une atteinte à sa sécurité physique et psychologique, à sa liberté et son autonomie. D’autre part, il y aurait peut-être lieu de faire une déclaration interprétative à l’article 4.1 qui énonce que le Canada interprète le mot « personne » comme désignant une être humain, né et vivant.

Par ailleurs, il serait primordial d’approfondir la recherche juridique sur la portée légale des clauses interprétatives. La Commission interaméricaine et la Cour interaméricaine se sentiront-elles liées par une déclaration unilatérale de la part du Canada à propos de l’interprétation à donner à l’un ou l’autre des articles de la Convention. Peut-être serait-il plus sage de demander à la Cour interaméricaine de prononcer une opinion sur la question?

Finalement, il faut souligner que différents groupes de femmes en Amérique Latine sont en train de développer une ébauche de convention sur les droits reproductifs des femmes. Cette piste est des plus intéressantes, puisqu’elle pourrait permettre de développer des principes et des énoncés qui vont pallier à l’ambiguïté de l’article 4.1 de la Convention et garantir effectivement aux femmes une pleine gamme de droits reproductifs, y compris le droit à l’avortement.

Peut-être que de tels éléments jetteraient les bases d’une ratification par le Canada de la Convention américaine relative aux droits de l’Homme qui ne donne pas l’impression aux femmes que leurs droit humains sont en péril ?

Nous comptons sur le Comité des droits de la personne du Sénat pour continuer à explorer cette question, et à proposer des solutions constructives qui nous permettent de participer pleinement au développement et à la promotion du système interaméricain des droits de la personne.

Andrée Côté
[8] [presentations-to-government-presentations-au-gouvernement] Presentations to Government / Présentations au gouvernement
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